J'aiguisais ma lame lorsque quelqu'un de la cour vint me chuchoter à l'oreille un message important. Les étincelles volant de toutes parts, le regard vide, j'écoutais ce que ce messager avait à me dire: le roi demandait une entrevue. Avait-il quelque chose à proposer? Trempant ma lame dans l'eau glacée, je la remis dans son fourreau après l'avoir bien essuyée. Je suivis le messager jusqu'au palais où le roi m'attendait avec impatience. Dès mon arrivée, je posai un genou au sol, posai mon poing contre mon armure au niveau de mon coeur et penchai respectueusement la tête comme on nous l'avait appris. Il me demanda de me relever et de le rejoindre autour de cette fameuse table. Je l'y rejoignis, cachant ma joie derrière un masque glacial.

Je pris place sur la chaise qu'on m'assigna et attendis avec impatience que cette réunion entre chevaliers débute. Un chevalier fraîchement muté pénétra à son tour dans la salle et pris place lui aussi avec nous. Le roi nous expliqua que des éclaireurs avaient aperçu une troupe ennemie s'approcher et que nous devions nous en occuper. Bien que je n'aimais pas mettre fin aux jours des individus, les ordres étaient d'en faire de l'engrais pour nos montagnes. Tous les deux silencieux, nous ne répondîmes qu'à la toute fin pour signaler notre compréhension face à ce qui nous attendait.

Je suivis le jeune Walendis jusqu'à l'extérieur où nos armes et notre petite armée découragée nous attendait. Je trouvais cela pathétique, mais expliqué. Le moral de tous était à plat à cause de notre situation économique et maintenant, nous sommes conscients que cette mission était probablement suicide. Notre ennemi était beaucoup plus nombreux que nous, mais nous devions défendre le pays, défendre notre roi jusqu'à la dernière goutte de sang. Notre destrier nous désavantagerait en montagnes, alors nous devions traverser à pieds. Je sentais leur coeur fondre dans un désespoir quasi total. Une victoire se devait d'être faite. Jugés prêts, le Chevalier Walendis annonça notre départ aux troupes. Le voyant rester vers l'arrière pour fermer la marche, je me donnais comme objectif de l'ouvrir, question de donner un peu plus de courage à nos hommes.

Nous traversions le village devant tous ces villageois craquelés de pauvreté. Ils nous acclamaient, nous encourageaient. Cela semblait donner un effet positif sur certains d'entre eux, pour d'autres, leur fardeau devenait que plus grand. Je restais bien droit, sérieux, de marbre. Je ne m'attendais pas à cela, mais je ne le désirais pas non plus. Nous quittions la ville, le Chevalier qui menait les hommes avec moi décida de prendre lui aussi la tête de ceux-ci. Il me paraissait songeur. Était-il en train d'élaborer une stratégie? Je n'étais pas stratégiste de nature, mais j'avais envie d'en connaître un peu plus dans le domaine.

«À quoi songez-vous, Chevalier Walendis?»

D'après le tacticien, une stratégie devait se baser sur le nombre de soldats de chaque camp et le terrain. C'était certain que si nous pouvions en sortir la totalité de nos troupes en vie, nous étions gagnants. Je levai le regard vers le ciel dans l'espoir que des réponses nous soient inscrites. L'azur restait constant, les astres n'avaient guère varier leur position. Qui sait, peut-être qu'une brève lecture dans le ciel nous aurait permis d'en savoir un peu plus sur notre avenir. Je connaissais assez bien le terrain où nous dirigions. Peut-être que mes informations sur celui-ci aiderait la mise en oeuvre de cette dite stratégie.

«Messieurs, on presse le pas, nous devons arriver le plus tôt possible pour préparer l'arrivée de Deras et les renvoyer chez eux.»

Je ne pensais pas que la tactique avait été mise en place. Il voulait rassurer les hommes que tout était sous contrôle. C'était une bonne façon de faire et je l'adoptais. J'accélérais donc mon pas, situé entre la course et la marche, je m'attendais à ce que tous suivent le rythme. Ce n'était pas trop rapide pour les essoufler et juste assez pour nous donner cette avance qui nous permettra de nous mettre en place. Parlant de cela, nous savions de quelle direction provenait l'ennemi, mais nous ne savions pas où il allait frapper directement. Je me tournai vers mon compagnon d'armes et lui dis froidement:

«Je vais agir en tant qu'éclaireur. Poursuivez ce rythme et je vous rejoindrai dès que possible.»

Ja m'assurais seulement qu'il avait compris avant de m'élancer à toute vitesse sur le terrain. Seul, j'étais furtif et silencieux. Si j'avais amené des soldats avec moi, notre marge de manoeuvre aurait été réduite et l'efficacité aurait été moindre. À pleine vitesse, je cherchais un point dans la falaise où je pourrai bien voir ce qui se passait tout en bas. J'en connaissais un tout particulièrement qui montrait le chemin de Deras. Je voyais les nombreuses troupes ennemies s'avancer dans une cadence régulière et remplie de fierté. Ils étaient minimalement le double de notre armée. Il fallait vraiment leur raccourcir le terrain pour nous donner une chance. J'aurais cru qu'ils se dirigeaient vers la forêt, mais ils préféraient contourner et passer dans une vallée enneigée. Leurs soldats montés avaient certainement une meilleure chance de survie hors des arbres. Je repartis à la course vers l'endroit où l'armée de Tarian marchait à pas rapides. Revenu aux côtés du Chevalier, je lui dis entre deux souffles:

«Ils se dirigent du côté de la vallée enneigée. Ils veulent donner une chance à leurs cavaliers alors ils évitent la forêt montagneuse. Je suppose que l'utilisation d'arc à flèches serait une idée à envisager, qu'en dites-vous?»

Certes, ils allaient vers la vallée, mais il nous fallait tout de même les attirer à nous. Ils pouvaient tout à fait décider de la contourner elle aussi pour nous leurrer. Ils prenaient tout le temps qu'ils désiraient, mais à force de marcher de longues distances, les soldats se fatigueront et une pause en territoire ennemi est toujours une mauvaise idée. J'espérais qu'avec mes informations, le Chevalier soit capable d'une stratégie complète et sans risque...

Une halte. Nous prîmes le temps de réfléchir à une stratégie à adopter. Celle qui venait d'être pensée faisait référence à Deras qui avançait de ce côté-ci de la forêt. Les hommes étaient soulagés. Ils pouvaient enfin souffler. Je repris mes sens rapidement et pris une pose pensive. Nous ne pouvions pas nous permettre de dépendre sur le froid pour les ralentir. Ils étaient préparés, ils savaient ce qui les attendrait. Nous devions tirer tout de même l'avantage du terrain. Nous connaissons notre pays et c'était à nous d'en profiter. Un regard tiré en direction de mon partenaire, je remarquai que son cerveau bouillait d'idées concrètes et constructives. Je ne regrettais nullement d'effectuer cette mission avec cet homme. Il avait été formé par un grand stratège et ce genre d'hommes étaient faits pour mener une armée à bien. J'avais confiance et nos hommes devaient faire pareil.

Finalement, le Chevalier Walendis termina de mettre son plan en oeuvre. Il sortit la carte et expliqua ce qu'il avait en tête. D'abord, un piège tout à fait naturel viendrait à bout de quelques soldats, puis une embuscade par derrière qui rendra ineffectifs une bonne partie de leurs hommes, les poussant vers un chemin un peu plus loin où le premier groupe les attendra. Je répondis d'un signe de tête positif et me tournai vers le groupe qui m'était désigné. Ils étaient nerveux. Ils avaient de la difficulté à rester sur place. Ils connaissaient les enjeux. D'un regard extrêmement froid, les bras croisés, j'élevai le son de ma voix pour prendre le dessus de l'autorité qui régnait ici.

«Ne craignez pas la souffrance! Ne craignez pas la mort! Sortez victorieux de ce combat et faites-vous acclamer par notre peuple! Deras est sur nos terres et il n'est pas le bienvenue! Repoussons-les jusqu'en enfer!»

Je voyais leur tête acquiescer positivement et je me dis qu'ils avaient repris le moral même si ce ne serait que temporairement. Tout le monde était fin prêts à partir. Je menais mes hommes jusqu'à l'endroit dicté par Walendis juste avant. Cette vallée enneigée ne nous procurait aucun moyen de se cacher. Cependant, en restant de l'autre côté de la montagne, même si nous étions loin, nous donnait une chance de rester discrets. Positionnés les deux pieds dans la neige, nous attendions longtemps le signal des roches qui dévalaient la falaise. Mis à part nous réchauffer pour nous tenir prêts à leur arrivée, nous ne pouvions rien faire de plus si nous voulions rester discrets.

Le signal avait été donné et d'ici, nous avions entendu l'émoi des soldats épargnés. Par chance, ils n'avaient pas vu ça comme un piège puisque rien ne se passait dans l'immédiat. Ils continuaient leur chemin en se faisant rappeler à l'ordre par leur leader. Même si cela avait été dit, ils continuaient de se distraire entre eux pour parler des morts. C'était parfait pour nous. Même si nous avions de nombreuses foulées à franchir, le son qu'ils émanaient nous rendraient invisibles à l'oreille. Je risquais un oeil et vis l'armée ennemi passer par le chemin tracé par le Chevalier. Sourire en coin, je pouvais prévoir la boucherie que nous allions causer à travers ce troupeau. Lorsque je redescendis parmi mes soldats, ils me demandèrent l'état de l'armée. Mon sourire en coin les rassura en les faisant sourire à leur tour.

J'attendis que l'armée entière ait passé notre position avant d'ordonner à mes hommes de charger. Notre travail était de nous attaquer à l'arrière et non au centre. La chose faite, je fis un signe de tête à mes hommes pour qu'ils me suivent en toute discrétion. Ils n'entendaient pas nos pas furtifs. Ils ne nous voyaient pas parce qu'ils regardaient droit devant. Nos épées dans nos fourreaux jusqu'au dernier moment, nous tranchâmes dans une ligne droite les retardataires. Je m'élançais dans la foule prise au dépourvu et m'attardai aux derniers archers avant d'attaquer l'infanterie. Même si j'allais chercher des cibles particulières, je faisais en sorte de rester près de mes hommes. Je ne voulais pas voir de héros parmi eux, je voulais qu'ils en sortent vivants. Ma lame faucha à gauche, à droite, juste derrière la nuque d'un de mes alliés qui allait se faire décapiter. Il avait vu sa vie défiler devant ses yeux et cela lui redonna du courage pour se battre. Le voyant se déchaîner comme un véritable guerrier, les autres autour l'imitèrent, causant une véritable boucherie. Je voyais le devant de l'armée se refermer sur nous dans l'intention de nous encercler. Je devais faire quelque chose...


Tous les soldats ennemis qui se trouvaient dans un rayon de 10 mètres tombèrent sur leurs genoux, pris d'une fatigue musculaire, les empêchant de se sentir à l'aise dans leur armure. Voyant notre position de force à ce moment-là, nous permettant de faucher tout ce qui se trouvait à proximité dans une vitesse d'assassins expérimentés, ceux qui étaient encore intacts de ma magie décidèrent d'accélérer le pas vers l'avant. Nous fuire était une obligation. Ils avaient une nouvelle priorité: assassiner le roi. La soi-disant armée de Tarian derrière eux, ils croyaient que plus rien ne serait sur leur route. Quelle erreur... Je les regardais fuire comme des brebis sauvages, me disant que le Chevalier Walendis n'allait avoir aucune difficulté à se débarrasser de ceux-là...

«Chevalier Nareku!»

«...»

Nombreux de mes hommes avaient été blessés, certains vivaient encore par un miracle quelconque. Au moins, aucun d'entre eux n'avait permis à l'ennemi de faucher directement leur vie. Ils avaient combattu courageusement. Je fis soigner les blessés avec ce que nous avions sous la main. Nous étions pauvres et ce, même en équipements de soin. J'amenais mes hommes au point de rencontre décidé en début de bataille pour nous permettre de nous reposer...